1936 : Les congés payés et les 40h, la victoire du Front populaire
En 1936, suite à une violente crise économique, les travailleurs français ont faire grève massivement et ont obtenu ainsi d’importantes victoires : notamment les congés payés et les 40H. Cette victoire a été possible grâce à l’alliance des classes populaires et moyennes, et à une mobilisation massive des travailleur.ses et des chômeur.ses dans plusieurs branches professionnelles. Avec cet article, (Re)découvrez plus en détail l’histoire incroyable de cette lutte et de cette victoire historique !
Les raisons de la colère : le chômage, la montée du fascisme et les conditions de travail pénibles
Les grèves de 1936 se déroule dans un contexte difficile mêlant crise économique, développement du taylorisme, montée des fascismes et spectre de la guerre en Europe avec l’arrivée au pouvoir du fascisme en Italie puis en Allemagne, les provocations et les coups de force de l’extrême-droite en France, la guerre civile espagnole qui opposent les défenseurs de la République aux partisans de Franco et aussi la guerre européenne qui s’annonce.
Les conditions de travail liées à l’industrialisation et au taylorisme sont particulièrement dures. La semaine de travail dure 48 heures, avec des rythmes de travail cadencés par l’optimisation des processus industriels. Et très peu de salarié.es ont droit à des congés payés.
La crise économique, issue de l’éclatement d’une bulle spéculative qui gonflait sur le marché des actions, se révèle d’abord aux Etats-Unis (en 1929) mais atteint ensuite la France en 1936. Elle se traduit par une violente déflation (une baisse généralisée des prix), un ralentissement de la production industrielle, un arrêt des investissements productifs, un alourdissement des dettes publiques et une profonde crise monétaire.
Concrètement, le chômage augmente drastiquement, passant de 450 000 personnes privées d’emplois en 1931 à plus de 860 000 en 1936, particulièrement dans le secteur de la métallurgie. Ainsi, à Valenciennes, sur 37 000 métallos, la moitié est en chômage complet, le reste chôme en moyenne deux jours par semaine. Les salaires ont baissé de 20 %. Dans le lyonnais, les effectifs ont reculé de 36 %, la masse salariale de 43 %. À cela s’ajoute le renvoi dans leur pays d’origine de 400 000 travailleurs immigrés entre 1931 et 1936.
Face à cela, le gouvernement fait le choix d’une austérité sévère : il réduit les dépenses publiques, les salaires et les retraites. Le patronat lui fait le choix de rationaliser encore plus le travail et développe le taylorisme (la division du travail en tâche simple, répétitive) , qui rend le travail encore plus difficile.
Une alliance inédite classes moyennes/classes populaires autour d’un programme modéré
Le 14 juillet 1935, la coalition du Front populaire réussit à réunir les socialistes, le Parti communiste et le Parti radical, réalisant ainsi pour la première fois cette « alliance des classes moyennes avec la classe ouvrière » que Maurice Thorez, alors secrétaire général du Parti communiste, appelait de ses vœux. Loin d’être révolutionnaire, le programme modéré du Front populaire, qui s’appuyait sur le slogan « le pain, la paix et la liberté » réussit à remporter l’adhésion d’une grande partie de la population aux élections d’avril – mai 1936.
Pour la première fois dans l’histoire de la Troisième République, le groupe socialiste recueillit une majorité de sièges à la Chambre (147 élus), la S.F.I.O.dirigée par Léon Blum venant en tête, suivie par les radicaux (106 élus) et les communistes (72 élus). Cette victoire de la gauche permit à Léon Blum de prendre officiellement la direction du nouveau gouvernement socialiste dès le 4 juin 1936.
Le déclencheur de la bataille : un mélange de frustrations et d’aspirations révolutionnaires
Cependant, à peine arrivé au pouvoir, celui-ci dut faire face à un mouvement inattendu de grèves. Déclenché dans les usines Bréguet au Havre le 11 mai 1936, à la suite du licenciement d’ouvriers qui avaient refusé de travailler le 1er mai, ce mouvement s’étendit rapidement à l’ensemble du territoire.
Quelles sont les raisons de l’extension de ce mouvement ?
- l’enthousiasme suscité par la victoire électorale des socialistes
- la méfiance populaire vis-à-vis de la classe politique, née des frustrations qui suivirent les victoires de la gauche en 1924 et en 1932,
- les aspirations révolutionnaires qui animaient une partie de la classe ouvrière
Une mobilisation massive et d’une forme inédite : « les grèves de la joie »
Mobilisant deux millions de grévistes, ces grèves avaient un caractère nouveau :
- l’occupation des lieux de travail par les ouvrier.es, destinée à immobiliser les machines et à empêcher le patronat d’employer un personnel de remplacement ;
- le comportement pacifiste et exemplaire des ouvrier.es, évitant tout incident violent ou toute destruction de matériel.
Contrairement aux conflits sociaux des années 1920, ces “grèves de la joie” ne furent pas suivies d’une répression brutale. C’est précisément une atmosphère de camaraderie qui émane de cette image de grévistes jouant aux cartes au son de l’accordéon, dans la cour d’une usine occupée en région parisienne au mois de juin. Formant un cercle autour des joueurs de cartes et de l’accordéoniste, les ouvriers, le sourire aux lèvres, expriment ainsi dans cette photographie leur joie devant la victoire des socialistes aux élections de mai.
Une union large de plusieurs branches de l’industrie et même du commerce
Débordant le secteur de la métallurgie, ces grèves ont atteint d’autres branches de l’industrie et, même, du commerce. Pour la première fois, les employé.es des grands magasins parisiens suivirent le mouvement, notamment aux Galeries Lafayette.
Des améliorations concrètes issues d’une 1ère négociation entre syndicats et gouvernement
Léon Jouhaux, Ouvrier allumettier et syndicaliste,secrétaire générale de la Confédération générale du travail (CGT) négocia avec le gouvernement une solution à la crise. Les négociations menées entre les syndicats et le gouvernement débouchèrent sur les accords de Matignon le 7 juin 1936, qui comportaient notamment :
- une augmentation des salaires de l’ordre de 7 à 15%,
- le respect du droit syndical,
- la création des délégués du personnel dans les entreprises
- le principe de la généralisation des conventions collectives, instituées par la loi du 25 mars 1919.
Encore plus d’améliorations grâce à la poursuite de la grève : les 40h et les congés payés !
Mais les grévistes continuèrent le mouvement et, malgré les appels de Léon Jouhaux à la reprise du travail, ces accords furent bientôt complétés les jours suivants par un arsenal législatif visant à améliorer les conditions de travail des ouvriers :
- loi des 40 heures hebdomadaires
- loi sur les congés payés d’une durée de 15 jours.
Une étape dans les grandes victoires du 20e siècle, dont nous héritons encore aujourd’hui
Avancée sociale majeure de l’époque, la généralisation des congés payés permit aux classes populaires de retrouver un peu du temps libre avalé par l’industrialisation violente des dernières décennies. Même si peu d’ouvrier.es et d’employé.es avaient vraiment les moyens de partir en vacances, cela permit tout de même à beaucoup plus de personnes d’accéder à du repos, de se permettre des « parties de campagne » …
Destinées à remédier à la crise économique et au chômage, ces mesures sociales suscitèrent ainsi une immense espérance en des jours meilleurs au sein de la classe ouvrière, d’autant plus qu’elles s’inscrivaient dans l’idéal humaniste du Front populaire, mis en œuvre dans le domaine de la culture, des loisirs et du sport.
Même si l’arrivée de la 2e guerre mondiale met de côté ces éspérances pour quelques années, les acquis du Front Populaire sont confirmés dans la durée. Après la guerre, le Conseil National de la Résistance réinstaure la plupart des acquis du Front Populaire. Nous en bénéficions encore aujourd’hui, avec le droit aux congés et aux vacances !
Aujourd’hui, les grèves de 1936 et le Front Populaire restent très forts dans la mémoire collective. Vous avez peut-être encore un grand-père ou une grand-mère qui peut vous en parler ! Ils nous inspirent encore et nous donnent espoir dans nos luttes, en nous montrant que la lutte paie à long terme!
Pour aller plus loin : nos sources
André Larané, 3 mai 1936, un Front Populaire en France, Herodote.net, 29/04/2019
André Larané, 20 juin 1936, le Front Populaire généralise les congés payés, Herodote.net, 17/06/2019
CGT Méttallurgie, Le pain, la paix, la liberté, les 80 ans du Front Populaire ! 13/09/2016
Charlotte DENOËL, « Les grèves de mai-juin 1936 », Histoire par l’image, histoire-image.org, septembre 2004
interview de Michel Winock par Eric Aeschimann, Le front populaire a été un feu d’artifice sociale, liberation.fr, 3 mai 2006,
article de Wikipédia sur le Front Populaire en France
Merci pour cette précision et votre contribution !