Invisibilisation et disqualification : un handicap politique pour les milieux populaires

Très peu représentées dans les milieux politiques, caricaturées dans les médias… Les classes populaires subissent invisibilisation et dévalorisation dans notre société. Cette situation est caractéristique des groupes sociaux « dominés ». Pourtant, il n’en n’a pas toujours été ainsi. Pendant près d’un siècle, le mouvement ouvrier est parvenu à rendre visible de façon positive les ouvriers.  Depuis les années 70, la situation des milieux populaires s’est dégradée et segmentée. Cela s’est accompagné d’un renforcement de leur mise à l’écart … loin des villes, au sein de l’entreprise, et en politique. Ainsi invisibles, nous sommes mal défendus, et plus perdants des politiques à l’œuvre.

La disqualification  des milieux populaires : une vieille tradition en France

La disqualification des milieux populaires n’est pas nouvelle en France. Que ce soit les façons de parler, de s’habiller, de vivre ou de bouger… Les manières d’être populaires sont souvent très dévalorisées :

    • Beaucoup de personnes considèrent les personnes de milieux populaires avec beaucoup de mépris. Ainsi, racailles, beaufs, sont des termes très utilisés aujourd’hui… Ainsi, les préjugés sur les pauvres et plus largement, les milieux et les quartiers populaires, sont très forts dans la société. …. Mauvais parents,  fainéants, profiteurs…
    • Cette image négative et dévalorisante est largement répandue par les médias. Les images diffusées sur les milieux populaires sont souvent très négatives. On donne des images de familles violentes et dépassées, de personnes bêtes et mal éduquées dans les télé réalités… Les quartiers populaires sont souvent filmés de façon négative, comme dangereux, mal fréquentés… Ce qui s’y passe de positif est rarement valorisé.
  • Au delà de l’image, c’est aussi la parole des milieux populaires qui est souvent dévalorisée. Les contestations sont qualifiées de violente, de « grogne », on fait comme si les gens avaient « mal compris »… Cela s’applique aussi aux élu.es issu.es de milieux populaires, souvent moqués et dévalorisés. Dans la même logique, le vote  populaire qui est souvent discrédité. L’abstention traitée de « piège à cons », les milieux populaires sont toujours soupçonnés de voter « mal » (vote supposé FN, populiste ou démago).

Le phénomène de l’aliénation aggrave cette situation. Cette mauvaise image est souvent intériorisée par les personnes concernées elles-mêmes, qui se sentent inférieures. Des personnes de milieux populaires peuvent ainsi parfois elles-mêmes relayer ces préjugés.

L’invisibilisation des milieux populaires : une « nouveauté » des années 70 qui n’arrange rien …

Si la disqualification des milieux populaires n’est pas nouvelle, leur invisibilisation est, elle, plus récente. En effet, jusqu’aux années 70, les milieux populaires étaient très visibles, grâce à l’importance du mouvement ouvrier. Par ailleurs, avant l’émergence des classes moyennes, il n’échappait à personne que les paysans et ouvriers étaient la majorité. Mais depuis les années 70, plusieurs phénomènes rendent invisibles les milieux populaires :

    • Une société avec moins de mixité sociale. La requalification des centre-villes et leur gentrification génèrent une hausse des prix du logement et des services. Cela élimine petit à petit tous ces quartiers populaires des centres voire de la proche périphérie. Les catégories populaires, ainsi chassées hors des villes, sont de moins en moins visibles pour les plus aisé.es. La fin du service militaire obligatoire, l’évitement scolaire massif pratiqué par les familles aisées ont également réduit la mixité sociale au sein de la jeunesse. Ainsi, il est très probable qu’un enfant de classe moyenne supérieure et un enfant de milieu populaire ne se soient jamais cotoyés à l’école ou dans leurs loisirs.
    • Des employé.es et ouvrier.s moins visibles au travail. Auparavent regroupés dans de très grandes entreprises industrielles, les ouvriers en masse étaient bien visibles des cadres. Aujourd’hui, les délocalisations et le recours massif à la sous-traitance les rendent moins visibles..Pour la plupart des gens, les ouvriers sont une figure du passé, ou bien se trouvent à l’étranger (en Chine, etc). Les nouveaux métiers populaires sont moins identifiés comme tels, plus dispersés (vente, aide à la personne, logistique, distribution)…
  • Enfin, l’effondrement du mouvement ouvrier n’aide pas non plus. Le mouvement ouvrier (PCF, SFIO…) est  parvenu un temps, à défendre les classes populaires et obtenir de réelles améliorations. Il était également porteur d’une représentation mythique de l’ouvrier, héroïque et combattant, support de fierté contre le mépris. Il a formé des élites politiques issues de classes populaires. Or, Avec son déclin, les milieux populaires sont moins valorisés et moins défendus. La part des ouvriers et employés parmi les élu.es ne cesse de baisser. C’est aussi toute une compréhension sur les classes sociales, l’exploitation, la domination qui est devenu invisible. Les interprétations par territoire, genre ou origine ont pris le dessus.

Ainsi, les employé.es et ouvrier.es constituent la grande majorité de la population française. Pourtant, la plupart des français croit appartenir à la classe moyenne et croit qu’il n’existe presque plus d’ouvrier.es en France… Par ailleurs, une partie de la population a de la réticence à s’afficher comme « défavorisé » ou au contraire, comme « privilégié ».  Tous ces phénomènes contribuent à rendre invisibles les milieux populaires. Cela se traduit aussi dans les médias et dans les programmes politiques.

Une invisibilisation qui se paie cher sur le plan politique

Certes, d’autres catégories sociales sont peu visibles, les grands bourgeois par exemple… Mais pour eux, la conséquence n’est pas la même. Pour les milieux populaires en revanche, les conséquences sont lourdes :

    • Une invisibilisation politique et médiatique des milieux populaires et de leurs besoins. En effet, les politiques, journalistes, chercheur.ses de milieux plus aisés cotoient de moins en moins les milieux populaires… Pour eux, ces populations sont devenues invisibles. Ainsi, dans les journaux, à la télé, dans les films, les milieux populaires sont souvent présentés comme une petite minorité en difficulté…On parle beaucoup des classes moyennes, et on montre beaucoup plus encore les classes aisées. Mais ce qu’on dit des milieux populaires est souvent caricatural, minimisé ou négatif. Et cela n’est pas sans conséquence sur les choix politiques.
  • une moindre capacité à se regrouper et à s’organiser pour défendre des intérêts communs. L’invisibilisation et l’éclatement des milieux populaires nuit aussi à leur propre conscience de classe. Cela rend la construction de collectifs et l’action syndicale plus difficiles. Ce qui alimente l’invisibilisation… Un cercle vicieux ! Ces difficultés sont aussi liées à la position sociale dominée des classes populaires dans la société. Moins diplômées, moins riches, moins présentes dans les lieux de pouvoir… Les classes populaires ont une moindre capacité à se défendre et à se représenter. Les classes dominantes, les plus aisées, ont beaucoup plus de ressources pour s’organiser et défendre leurs intérêts (réseau, richesses, pouvoirs politiques, économiques et médiatiques…). Contrairement à leur apparence individualiste, elles sont en réalité très unies pour cela.

Pour les milieux populaires, cela se traduit par une moindre prise en compte politique de nos besoins. Nous sommes moins connus et moins défendus… Alors même que nous avons plus que d’autres, besoin de la politique pour améliorer nos vies. Toutes ces constats sont à la source de notre projet de Collectif POP. En créant ce Collectif, nous voulons justement lutter contre la disqualification et la sous-représentation des milieux populaires… Nous voulons rendre visibles nos enjeux, nos besoins, nos réalités, et porter nos propres revendications. Cela vous parle? Rejoignez-nous !

Des questions, critiques, remarques, précisions, désaccords ? N’hésitez pas à nous le dire en commentaire !

Pour aller plus loin : nos sources

    1.  Julian Mischi, « Il y a une dévalorisation générale des milieux populaires », webrevue Ballast, 15 juin 2015
    1. Lorenzo Barro-Stella, Bernard Pudal, Représenter les classes populaires ?, Savoir / Agir , Editions du Croquant, 2015.
    2.  Camille Peugny, Loin des urnes. L’exclusion politique des milieux populaires,paru sur le site Métropolitiques en juin 2017
    3. L’observatoire des inégalités, L’origine sociale des élus ne reflète pas la société même au niveau local,  18/05/2017
    1. Sophie Béroud, Paul Bouffartigue, Henri Eckert, Denis Merklen, En quête des classes populaires. Un essai politique, Paris, La Dispute, 2016
    1. Paul Bouffartigue, Invisibles, les classes populaires? Et pourtant, elles bougent, Médiapart/Le club, 8 février 2017
    2. Michel Pinçon, Monique Pinçon-Charlot, Les ghettos du Gotha, comment la bourgeoisie défend ses espaces, Seuil, 2007
    1. Cécile Lacroix-Lanoé, Le mythe de la classe moyenne, site Délits d’opinion, 22 octobre 2014
    1. Les décodeurs, Qu’est-ce que la classe moyenne ?, Le monde.fr, 18/09/2014
    1.  Caroline Piquet, Visualisez si vous êtes riche, aisé, moyen, populaire ou pauvre, Le Figaro, 16/04/2014
    2. Melaine Cervera, Renaud Ourcade, La construction institutionnelle de l’invisibilité sociale, ONPES, septembre 2015
    3. Samuel Gontier, Ma vie au poste, La Découverte, Paris 2016
    4. Julien Baldassarra, La « grogne » : dans le bestiaire des mobilisations sociales, Acrimed.org, 8/02/2018
    1. ATD Quart Monde, En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté,éditions Quart Monde, 2017
    2. Serge Paugam, Bruno Cousin, Camila Giorgetti, Jules Naudet, Ce que les riches pensent des pauvres, Seuil, 2017
    1. Le parisien, ONPC : Vanessa Burggraf choque avec un fou rire en plein débat sur les licenciements, 27/02/2017
  1. Observatoire des inégalités, La représentation des catégories socio-professionnelles à la télévision, 21/03/2017