Nisrine Zaïbi, ou la prise du pouvoir politique comme moyen de lutte collective pour les quartiers populaires !

Nisrine Zaïbi, ou la prise du pouvoir politique comme moyen de lutte collective pour les quartiers populaires !

Alors à peine âgée de 21 ans, en 2008, Nisrine Zaïbi, fille d’un ouvrier et d’une couturière au foyer, enfant d’un des quartiers populaires de la ville, Stade-Fontaine au Loup, devenait pour 6 ans, conseillère municipale en charge de la jeunesse à la ville de Chalon-sur-Saône. De mars 2010 à décembre 2015, elle a également été Vice-Présidente du Conseil Régional de Bourgogne, puis de décembre 2015 à aujourd’hui, conseillère régionale déléguée. Dès 15 ans, elle était aussi engagée dans le milieu associatif, avec des résultats concrets pour son quartier. Un parcours impressionnant qui suscite notre admiration et aussi pleins de questions 😊 ! Comment est-elle arrivée à la politique ? A-t-elle l’impression de pouvoir faire changer des choses pour les personnes de milieux populaires ? A quoi ça sert, de s’engager ? Qu’est-ce que ça change, en politique, de venir d’un milieu modeste ? Pour savoir cela et bien d’autres choses encore, (re)découvrez Nisrine au travers de ce passionnant échange 😀 !

 

Tout d’abord, peux-tu te présenter pour nos lecteurs.trices qui ne te connaissent pas ? Où as-tu grandi, etc ? Et tes parents, qu’est-ce qu’ils faisaient comme travail ?

Je m’appelle Nisrine Zaibi, j’ai 32 ans, je suis née à Chalon-sur-Saône, en Saône-et-Loire, en Bourgogne. Dans cette commune d’environ 45 000 habitants, il y a 2 quartiers dits « politique de la ville ». Moi j’habite dans le quartier du Stade-Fontaine-au-Loup. C’est là que j’ai grandi. J’en suis partie un temps, et j’y suis revenue, j’ai des attaches très étroites avec les gens de ce quartier.

Mon père est arrivé de Tunisie en 1974, seul, à Autun en Saône-et-Loire, une commune très rurale, où il a été maçon, puis soudeur, il a travaillé sur des chantiers, dans des usines. Ma mère a suivi mon père lorsqu’ils se sont mariés en 1976. Elle a d’abord travaillé comme couturière en Tunisie dans une usine française. En arrivant en France, mon père avait une vision patriarcale du rôle de l’époux et de l’épouse dans le foyer. Lui, allait travailler et ma mère restait à la maison pour s’occuper des enfants. Ma mère aurait préféré travailler et être autonome en obtenant son permis de conduire mais à cette époque, c’était mal vu. Elle était donc à son arrivée assez isolée. C’est sa famille, sa tribu qui lui a permis de nouer des liens avec le monde extérieur (l’école, l’administration publique, le milieu associatif). Elle était investie dans le milieu associatif à défaut de travailler, peut-être mais ce qui était certain c’est son altruisme et son envie d’aider. Elle était bénévole au Secours Catholique, au Secours Populaire, et elle faisait office d’écrivain public sur le quartier : elle maitrisait le français, les femmes venaient souvent vers elle pour avoir de l’aide et du soutien.

D’où vient ton engagement en politique ? Qu’est-ce qui t’a amenée à la politique ? C’est ta mère qui t’a inspirée ? Est-ce que ta condition sociale a joué sur ton engagement ?

C’est sûr, ma mère, c’est mon modèle, une féministe, une femme combattive, qui a une résilience extrême, donne du temps pour les autres plus que pour elle-même.  Je voulais faire comme elle. J’ai pris d’elle.

ma mère, c’est mon modèle, une féministe, une femme combattive, qui a une résilience extrême, donne du temps pour les autres plus que pour elle-même.  Je voulais faire comme elle. J’ai pris d’elle.

A mes 15 ans, j’avais très envie de m’engager pour me consacrer aux plus démunis d’abord. J’ai aussi eu un déclic avec le passage de Le Pen au second tour des présidentielles, en 2002. On a alors créé 3 associations d’éducation populaire avec des copains et mes frères :

  • une sur la culture – j’ai un frère qui était artiste chorégraphe – pour démocratiser l’accès à la culture : faire venir des artistes dans le quartier, et aussi permettre aux jeunes des quartiers populaires d’accéder à ce que j’appelle les « temples » de la culture.
  • Ensuite on a monté une asso d’entraide sociale venant en aide aux personnes en difficulté avec la lecture, l’écriture, qu’elles soient issues de l’immigration ou pas, il y avait les deux profils. (tâches administratives)
  • et la 3e asso était une asso citoyenne pour convaincre les gens jeunes de quartiers pop de s’engager dans le milieu associatif et politique

L’engagement était donc d’abord associatif, et à ce moment-là. On m’a repérée comme leader de ces réseaux. J’ai été sollicitée par Christophe Sirugue lui-même, qui était candidat socialiste aux municipales de 2008. Je n’ai pas voulu donner mon accord sans avoir celui de celles et ceux avec qui je m’étais engagée. Au départ, je ne voulais pas : le milieu associatif est assez anti-politique, on voit le milieu politique comme avant tout électoraliste, pas tourné vers l’intérêt général. Ensuite, j’ai évolué en écoutant les avis de mon entourage et puis je n’avais rien à perdre : j’en avais marre de subir de nombreuses injustices de part et d’autre, en tant qu’association et jeune de quartier pop issue de l’immigration.

On s’est dit, allez nous aussi on veut prendre des responsabilités pour changer la donne, pourquoi pas ?

Le choix politique a été un choix collectif : il y avait un intérêt à avoir un représentant politique pour exposer le plafond de verre des subventions. On n’avait ni écoute, ni soutien financier ou même matériel, ni reconnaissance. On avait l’impression d’être isolés du reste de la ville. On avait besoin de moyens comme toutes les associations, on demandait un simple accès au droit commun. L’idée était par ailleurs d’avoir un représentant pour le quartier, pour les habitant.es. C’est pourquoi, en 2008, j’ai décidé de me lancer aux cotés de Christophe Sirugue pour contribuer, modestement, à représenter les habitants de quartier POP. 

Et ensuite, comment ça s’est passé ? Est-ce que le fait de venir d’un milieu populaire a été une source de difficulté en politique ?

Oui, ça a été une difficulté, en termes de crédibilité notamment. En plus je cumulais de nombreux critères : j’avais 21 ans, je suis arrivée à cet âge-là dans une arène avec des velléités extrêmes de pouvoir des uns, d’ego surdimensionné des autres, des intérêts particuliers au détriment d’intérêts généraux. Il a aussi fallu apprendre à connaitre le monde des institutions publiques, les collectivités, les instances démocratiques. Donc oui, j’étais perdue, mais le pire dans tout ça c’est qu’on ne t’accompagne pas. On te laisse te débrouiller, en autonomie. Je sais bien pourquoi on m’avait choisie : jeune, de quartier populaire, femme, maghrébine, mais quand même « un peu intelligente » car j’avais fait une école de commerce.

La difficulté majeure au départ a donc été la crédibilité : il y avait une forme de mépris, il y en a toujours d’ailleurs après 10 ans, à l’égard de ceux qui viennent des quartiers populaires.

On pense que les gens issus de quartiers populaires, de milieux modestes, ne réfléchissent pas, ne sont pas en capacité de prendre des responsabilités. Un peu comme l’avocat de Piotr Pavienski qui a été critiqué comme étant un bonnet d’âne parce qu’issu d’un quartier populaire au parcours scolaire très moyen et d’origine maghrébine au passage. Je ne généralise pas mais ça arrive d’être réduit-e à ça. Ce fut beaucoup plus handicapant que le fait d’être une femme.

Comment ça s’est traduit, concrètement, ce mépris ?

Déjà, par une non-écoute. Tu sais bien, quand une femme prend la parole, on détourne le regard, on papote alors que quand un homme parle, on l’écoute. Et bien c’est un peu la même chose quand tu viens d’un milieu populaire. C’est aussi dans les réponses qui sont faites : par exemple quand je propose une action, que je soulève un problème, on me répond souvent : « oui mais tout ne se résume pas aux quartiers populaires ».

On me ramène sans cesse à qui je suis, d’où je viens : on ne me considère pas comme une habitante de la ville de Chalon à part entière, mais du quartier populaire avant tout.

Récemment, on est venue me demander d’organiser des actions de terrain dans les quartiers populaires parce que j’en suis issue. Or j’ai été Vice-Présidente de région, j’ai des réseaux au-delà des quartiers, j’ai travaillé sur de nombreux sujets …. Mais on ne me sollicite pas sur ces autres sujets sur lesquels j’ai pourtant œuvré quelques années: la commande publique, l’insertion, l’habitat social. En fait, on nous resserre l’espace des possibles. On a beau faire, acquérir de l’expérience, capitaliser nos connaissances : on restreint notre spectre, souvent. Je ne généralise pas, mais dans le milieu politique je l’ai beaucoup vécu comme ça.

Est-ce que tu penses que c’est une force aussi, en politique, de venir d’un milieu populaire ?

Ah oui, moi je l’ai toujours vécu et revendiqué comme ça : ça te donne de véritables compétences informelles. Par exemple, tu redoubles d’efforts pour convaincre, tu acquières des compétences de survie, d’autonomie.

C’est une force, je ne rougis pas d’où je viens, j’habite toujours le quartier, je suis restée là où je me sens bien.

C’est rare pour les gens qui réussissent de rester ou de garder le lien. Souvent ils partent du quartier et perdent tout contact.  

C’est aussi une force parce que ça permet d’amener d’autres personnes à y croire, par l’exemple.

« Regardes ça ! c’est possible », « elle l’a fait », « c’est possible de le faire ». Et ça contribue à changer le regard sur les jeunes de quartier populaires : non, on n’est pas tous des dealers, oui on peut faire des études, etc.

C’est une force aussi dans la vision et le prisme des sujets politiques que je peux porter : j’ai la chance d’être au contact des réalités, y compris les plus difficiles : les personnes qui galèrent, la précarisation etc.. Moi je les côtoie, par rapport à d’autres qui ne sont plus au contact des réalités du terrain.

Est-ce que tu penses qu’en venant soi-même de classes populaires, on représente mieux et défend mieux les classes populaires en étant au pouvoir ?   

Pas forcément, ça dépend de l’objectif de la personne : on a tellement été trahis par des personnes issues de milieux populaires, qui une fois au pouvoir, ne le font pas. Il y a parfois une forme de honte d’être issu d’un milieu modeste, qui peut amener à effacer son origine sociale. C’est ce que je regrette le plus, avec certaines personnes : quand ils accèdent aux responsabilités, ils coupent le lien, ils passent à autre chose, ils ne rendent pas la pareille à ceux qui les ont fait.

Ça veut pas dire qu’il faut rester toute ta vie dans ton quartier mais s’il n’y a pas des va-et-vient, un dialogue, ça ne le fait pas, il n’y a pas de vraie représentativité.

Donc, ça compte, mais venir d’un milieu populaire ne suffit plus. J’ai aussi vu des gens faire un vrai travail social dans les quartiers sans venir de quartiers populaires.

Est-ce que ça change quand même le regard, la sensibilité ?

Bien sûr : c’est quand on est confrontés aux réalités, qu’on les comprend. Quand on travaille pour le compte d’une association qui œuvre sur le quartier. Ce qui compte c’est la connexion avec les milieux populaires, que ce soit sous forme professionnelle, associative ou habitant-e, les trois fonctionnent pour moi. Mais il faut vivre les choses pour mieux les saisir.

As-tu des exemples concrets de ce que ça change, en politique, de venir d’un milieu modeste ?

J’ai un premier exemple très concret : mon association a fermé ses portes car quand on est arrivé à la mairie, on a créé le poste d’écrivain public : on a créé un service public, c’est beaucoup moins fragile qu’un travail basé sur du bénévolat.

Pareil sur la dimension insertion professionnelle : on a pu créer des dispositifs assez innovants par le biais des clauses d’insertion, notamment pour les femmes qui avaient de grandes difficultés à trouver des emplois. On a créé des missions d’insertion adaptées au profil de ces publics prioritaires, des femmes avec des enfants, donc pas disponibles à temps plein, sous qualifiées, non mobiles mais pleines de ressources. C’est grâce à une vision terre à terre, une prise en compte des réalités du terrain. On ne peut pas construire une politique publique sans partir du terrain, sans avoir identifié le problème.

On a aussi lancé une auto-école sociale et solidaire. On a aussi créé un garage associatif, développé la location de courte durée des deux roues et des voitures, pour permettre les déplacements après l’obtention du permis de conduire, car une fois qu’on a le permis de conduire, on n’a pas forcément les moyens d’avoir une voiture.

Donc malgré le mépris, le manque d’écoute, le fait d’être élue t’a permis de porter tout ça ?

Oui, bien sûr. Le seul truc qui n’a pas abouti, c’est la question de l’habitat. Mon quartier a été complètement abandonné, les financements n’existaient pas et il fallait lancer d’abord la rénovation du quartier pop voisin. Celui-ci devait être le suivant, en cas de victoire… Sauf qu’on a perdu les élections municipales de 2014. La liste qui a remporté les élections n’a pas voulu entendre parler de mon quartier. L’abandon des pouvoirs publics est redevenu la norme.

On a perdu 6 ans supplémentaires pour mener à bien ce projet. Et aujourd’hui encore, tout le monde esquive le sujet. Les immeubles sont délabrés, les locataires pour la plupart de plus de 30 ans paient des loyers excessivement chers pour vivre dans l’insalubrité. Et ça, ça me touche beaucoup. Sans un logement et un environnement de vie décent, toutes les actions utiles soient-elles paraissent futiles.

As-tu pu aussi porter des choses dans les politiques publiques de la ville ou de la région en général, au-delà des quartiers ?

En tant que Vice-Présidente de la région, j’ai créé un dispositif d’aide au permis de construire. C’est moi qui l’ai créé, et j’en suis super fière. Il a été repris par plein de communes, régions, départements dans la France entière. C’est une aide au permis de 500 euros contre 15h de bénévolat dans une collectivité ou l’association de son choix. Et ça ne cible pas uniquement les jeunes des quartiers pop mais l’ensemble des jeunes aux revenus modestes.  J’ai beaucoup de retours positifs : beaucoup de jeunes ont découvert le monde associatif qu’ils ne connaissaient pas, un milieu qu’ils ne connaissaient pas, certains ont continué,  ça contribue au lien social, ça ramène des bénévoles dans les associations…

Moi j’aime bien réinventer les politiques publiques, créer de nouveaux règlements d’intervention répondant aux besoins actuels de la population. L’idée d’une politique où tout le monde est gagnant m’enchante.

Attention ceci ne veut pas dire que je suis favorable à cette idée d’ajouter une contrepartie au bénéficiaire du RSA, par exemple. Je trouve ça injuste car ça ne prend absolument pas les particularités de ces personnes en situation de précarité.

J’ai aussi conditionné les aides économiques à la présence d’un référent dans les entreprises dédié à l’accueil de stagiaires. Ces référents sont nos interlocuteurs pour le jeune qui recherche un stage. J’ai aussi travaillé sur les circuits courts dans les cantines scolaires et j’ai aussi lutté contre la précarisation des agents, en portant la déprécarisation des catégories C (NB : c’est-à-dire la catégorie des employé.es et des ouvrier.es dans le public). J’ai aussi beaucoup travaillé sur les marchés publics avec la rénovation énergétique des lycées, l’octroi de marchés pour soutenir l’économie locale, l’avance de trésorerie pour les petites entreprises, j’ai travaillé sur l’aménagement du territoire et sur les questions de logement.

Au-delà de la défense des gens de quartiers populaires, quels sont tes principaux points de sensibilité, tes combats, ce pour quoi tu as envie de te battre ?

Toutes les formes d’injustice m’exaspèrent. Si je me bats c’est vraiment contre les injustices : les discriminations sous toutes leurs formes, les injustices liées à la non prise en compte de la précarisation, de la paupérisation grandissante de la population. IL y a une pauvreté, une misère qui grandit, et personne n’en tient compte.

Toutes les formes d’injustice m’exaspèrent. Si je me bats c’est vraiment contre les injustices : les discriminations sous toutes leurs formes, les injustices liées à la non prise en compte de la précarisation, de la paupérisation grandissante de la population.

Ce qui me tiendrait à cœur vraiment, c’est de retravailler l’accueil des services publics sur l’ensemble du territoire. Souvent, l’usager ne sait pas où aller, ne correspond quasi jamais aux critères. En attendant, sa situation se dégrade, et on ne traite le problème seulement lorsque le mal est fait voire jamais. Je voudrai travailler aussi sur les aides d’urgences concrètes, en particulier sur le couple « loyer-charges ». La question du peuplement dans le logement social pour travailler sur la mixité.

Qu’est-ce que ça t’apporte de militer, en fin de compte ?

Même si c’est long, il y a des avancées malgré tout, et c’est la plus grande des satisfactions : apporter réellement un changement, avoir solutionné des problèmes. Et la plus grosse frustration, c’est le temps entre le projet et sa réalisation mais aussi  frustrer d’expliquer pourquoi, parfois, on ne peut pas.

Prendre des responsabilités, l’engagement, c’est à la fois une très belle expérience personnelle, mais aussi le meilleur moyen pour faire, pour influer sur la vie des gens.

Il n’y a que ça de vrai, l’action, car on a beau parler mais agir reste nécessaire. Bien sûr, on peut aussi être actif dans l’associatif, mais il y aura toujours le plafond des financements. D’où l’intérêt d’être dans le milieu politique, pour débloquer des financements, de créer des passerelles entre les deux.

Pourquoi es-tu candidate aujourd’hui ?

J’ai longtemps hésité à repartir sur une élection, car j’ai d’autres envies personnelles qui me tiennent à cœur, et j’ai aussi parfois le sentiment d’avoir fait le tour, et l’envie de revenir à mes premiers amours, l’engagement associatif. Mais là, j’avais une idéologie à combattre sur mon territoire. Le maire en place n’a fait que mépriser les quartiers pop. D’habitude, je me bats plutôt pour des choses, mais là je me bats contre une injustice. Il a arrêté tous les projets de rénovation urbaine, a délaissé toutes les populations fragiles.

Après six ans de dégâts, ça me parait être de ma responsabilité de mettre mon expérience au service de ceux qui en ont vraiment besoin. Il ne s’agit pas de ma petite personne. J’aimerai pouvoir arrêter dans quelques temps, j’ai donc rameuté des jeunes sur la liste, pour prendre la relève, renouveler : on ne peut pas tout faire tout, nous même, tout le temps.

Est-ce que tu penses que certains partis défendent plus les classes populaires que d’autres ? 

Aujourd’hui, parler de partis politiques me fait un peu sourire. Quand on regarde la campagne des municipales aujourd’hui, plus personne ne revendique son parti. Macron a provoqué un éclatement des partis dits classiques, notamment PS et LR. Les LR sont plus solides en soi car ils s’affichent dans l’union quoiqu’il arrive. Le PS, lui, est à l’agonie. Ça m’amène à croire que les partis ne représentent plus des catégories précises, sauf pour les extrêmes. Le RN a la prétention de représenter les classes populaires et moyennes, ce que la gauche a un peu perdu ces dernières années. Les autres partis ont oublié les classes populaires, ou n’ont pas su faire. Aujourd’hui, je vois quelques mouvements qui commencent à comprendre l’importance des milieux pop : les écolos et encore, Générations et les listes citoyennes mais l’efficacité n’est pas toujours au goût du jour. Les classes pop ont bifurqué vers les extrêmes, et les classes moyennes ont cru au rêve de la Macronie mais s’en sont vite détournées.

Pourquoi ces partis ont-ils délaissé les classes populaires, d’après toi ?

Le problème c’est le recrutement : on manque de candidats dans les instances locales, on regarde la politique de loin, on n’y croit plus… La gauche a souvent eu un complexe vis-à-vis de la droite, sur le plan économique : du coup il fallait plus de patrons, de classes sociales hautes … Et puis le PS s’est fortement boboïsé, y compris une partie de la population issue des classes populaires, très intellectualisée, au détriment de la base. On oublie l’Histoire, et le terrain surtout. Pour avoir vécu les années PS, on a oublié comment aller sur le terrain, discuté avec les gens, convaincre : ça se battait pas pour aller tracter.

D’après toi, est-ce que les élus locaux ont de vrais moyens d’améliorer la vie des classes populaires ? 

Bien sûr, en lançant toutes formes d’expérimentations, en lançant des éco systèmes écologiques et solidaires. La carte à jouer, c’est l’expérimentation. On se focalise parfois trop sur les compétences règlementaires … mais on peut faire des politiques volontaristes, qui sortent des clous, quand on le veut.

Quand tu es un élu, en responsabilité d’agir, tu peux faire des choses.

Bien sûr en étant réaliste et dans les limites financières qui nous sont imposées.  Il suffit d’être créatif, quand on veut, on peut.

Penses-tu que la politique serait différente si plus de gens de milieux populaires étaient élus?

Oui, je suis persuadée que les classes populaires ont vraiment des choses à dire. Malheureusement elles sont très peu entendues aujourd’hui, car pas en place, pas en responsabilité. Pourtant, ça représente quand même plus de 60% de la population, qui est loin d’être représentée en proportion. De ce fait, aujourd’hui, beaucoup de politiques publiques qui sont mises en œuvre ne concernent même pas ces 60%… Ça changerait beaucoup de choses, d’avoir des personnes de toutes les classes populaires, que ce soit de quartiers urbains, de milieux plus ruraux etc…

D’ailleurs, ça fait du bien de parler des classes populaires : le problème aussi, c’est qu’on en parle pas, on en parle plus.

Dans tous les milieux politiques où je suis, on en parle plus, alors que c’est plus de 60% de la population.

 

D’après-toi, qu’est-ce qui empêche d’avoir plus d’élus de milieu populaire aujourd’hui ?

Être d’un milieu modeste n’amène pas cette facilité qu’on les autres, d’avoir du temps.

Quand on est pris par le fait de boucler les fins de mois, de répondre aux besoins les plus primaires, c’est dur de se consacrer à la politique. Ce n’est pas un manque d’intérêt.

Au contraire les gens des milieux pop sont très politisés, ils s’y intéressent beaucoup, peut-être même plus que les autres. Mais il faut, au-delà du temps, avoir un socle de sécurité. Pouvoir se nourrir, se vêtir, se loger. Une fois qu’on a ça, là on peut s’investir. Toutefois, ça n’a pas empêché les plus combatifs-ves de s’engager. J’en connais plein, qui sont au RSA, qui galèrent, et qui s’engagent. Ils ont besoin de se sentir utile, ils y trouvent de la force, une rage de vivre. Le ras-le-bol donne aussi envie de s’engager !

Pour finir, voudrais-tu passer un message à des personnes de milieux modestes qui hésiteraient à s’engager ?  

Je voudrais leur dire qu’il est trop facile de critiquer ceux qui sont aux responsabilités. Même si aujourd’hui, beaucoup de nos représentants sont médiocres. Pour changer la donne, chacun.e est libre de s’engager, et l’engagement est ouvert à tous et à toutes. Il suffit juste de le vouloir. Même si ce n’est pas facile, le message que je voudrais donner c’est : que tout est possible, et que l’engagement est super nécessaire pour changer la donne ! On n’a pas le choix que de passer par l’engagement pour changer notre quotidien et celui de notre entourage. SI on veut vraiment exister, il faut prendre la parole.

On n’a pas le choix que de passer par l’engagement pour changer notre quotidien et celui de notre entourage. SI on veut vraiment exister, il faut prendre la parole.

 

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