Comment lutter contre l’orientation subie, le fléau des jeunes des classes populaires ?

Comment lutter contre l’orientation subie, le fléau des jeunes des classes populaires ?

L’orientation subie, c’est un fléau bien connu des jeunes des milieux populaires. A la fin du lycée et encore plus, dès la fin de la 3e, beaucoup d’enfants d’ouvrier.es et d’employé.es se retrouvent dans des filières qu’ils et elles n’ont pas choisi… Avec pour résultat, le moral au plus bas, et un avenir tout tracé vers des métiers pénibles, précaires et mal rémunérés. Quels sont les mécanismes de l’orientation subie ? Que peut-on faire pour l’éviter, en tant que parent ou ado ? Quelles pistes de revendications pour en finir avec l’orientation subie ? Ne cherchez pas plus loin, tout est dans cet article !

La situation : l’orientation subie, un fléau de masse pour les jeunes de classes populaires

Une orientation trop souvent subie ou insatisfaisante pour les enfants des classes populaires

En France, le choix de l’orientation scolaire, en fin de 3e ou au lycée, est un moment très important et particulièrement stressant pour de nombreux.es jeunes. Or, pour de nombreux jeunes, et particulièrement les jeunes de classes populaires, enfants d’ouvrier.es et d’employé.es, l’orientation scolaire est beaucoup trop souvent subie. Le dernier rapport du Centre National des Etudes Scolaires, le CNeSCO, qui date de 2018, permet de prouver l’ampleur du phénomène.

Ainsi, 19% des enfants d’ouvriers estime qu’il n’a pas eu le choix de son orientation, contre 10% des enfants de cadres. Dans les filières principales d’orientation des jeunes de milieux populaires après le collège, l’orientation subie est monnaie courante. Dans les filières professionnelles, au recrutement très populaire, 20% des élèves et diplômé.es estiment n’avoir pas eu le choix de leur orientation. Et la proportion de jeunes en orientation subie est encore plus forte pour les jeunes qui n’ont pas fait d’études : 38 % des jeunes sans diplôme et 18 % des jeunes qui se sont arrêtés au baccalauréat déclarent ne pas avoir eu le choix de leur orientation. Or là encore, il s’agit essentiellement de jeunes des classes populaires. A l’inverse, les étudiants et diplômés de l’enseignement supérieur, en moyenne plus aisés, ne sont que 7% à estimer n’avoir pas eu le choix. La différence est nette. Par ailleurs, pour les jeunes de milieux plus aisés, l’orientation subie reste une orientation élitiste.

Enfin, même lorsque l’orientation est choisie, il peut y avoir malgré tout une insatisfaction. Ainsi, si 20% des enfants de cadres déclarent être insatisfaits de l’orientation qu’ils ont choisie, cela monte à 31% des enfants d’ouvrier.es et 38% des enfants dont le parent accompagnateur est au foyer.

Des conséquences douloureuses et durables pour les jeunes de classes populaires

Or, l’orientation subie n’est pas seulement un mauvais moment à passer pour les jeunes qui la vivent. Elle entraine trop souvent des effets négatifs importants à court terme et parfois à long terme.

Le premier effet négatif immédiat est d’abord le décrochage ou l’échec scolaire. Comme le disent ces chercheurs auteurs de l’ouvrage « L’école, une machine à trier », :

« [dans les banlieues populaires françaises], les propos sont toujours à peu près les mêmes : « on ne m’a pas laissé choisir, on m’a imposé une orientation qui ne me convenait pas, cela m’a ôté toute motivation et m’a conduit, soit à l’abandon, soit à l’échec ».

Un lien confirmé par des travaux de recherche comme celui-ci. Ainsi, en 2017, on dénombrait environ 80 000 jeunes sortis du système scolaire sans diplôme. En 2019, 12,2% d’une classe d’âge sortait de l’école sans diplômes ou avec le brevet seulement ; soit 1 ado sur 9, essentiellement issu de classes populaires.

Deuxième effet négatif lié :  l’orientation subie débouche en général sur des emplois peu qualifiés et mal payés. Or, en France, pays où on accorde beaucoup d’importance aux diplômes et où il est difficile de refaire des études ensuite, le parcours scolaire initial d’un jeune détermine assez fortement son parcours professionnel tout au long de la vie. C’est donc parfois toute une vie de galère qui en découle.

Par ailleurs, pour de nombreux.ses jeunes, l’orientation subie a souvent été assortie de discours assez dévalorisants sur leurs capacités. Beaucoup racontent qu’on leur a dit : « tu n’as pas le niveau, tu n’en seras pas capable, tu ne vas pas y arriver » etc. Une expérience douloureuse dont on se souvient longtemps, qui peut casser la confiance en soi et couper durablement les ailes, comme le raconte dans cette mini vidéo le coach sportif de stars Joel Bouraima.

Enfin, ce phénomène contribue aussi à aggraver le rejet des jeunes de classes populaires vis-à-vis de l’école et des institutions. Comme le dit l’Observatoire des inégalités, « L’école est vue par eux essentiellement comme une institution qui les rejette, dont l’objectif serait de les mettre à l’écart (…). La Cour des Comptes souligne à juste titre que dans cette conception, l’orientation est ressentie par certains comme une élimination et parfois même une relégation. »

Les explications : les mécanismes de l’orientation subie

De nombreux travaux de recherche ont étudié les mécanismes de l’orientation subie. Trois principaux facteurs expliquent pourquoi l’orientation subie est aussi forte chez les jeunes de classes populaires.   

L’orientation par défaut comme sanction de l’échec scolaire

Le premier facteur et sans doute un des plus puissants, est le fait que l’orientation scolaire est essentiellement un processus de tri fondé sur les résultats scolaires. Ainsi, les élèves qui ont de bons résultats peuvent choisir leur orientation, et les autres se retrouvent affectés par défaut, sans choix.

Or, comme le montrent des enquêtes comme la comparaison internationale PISA, l’école française est particulièrement défavorable eux jeunes de milieux populaires. Le décrochage scolaire des jeunes de milieux populaires est particulièrement marqué à partir du collège. Or c’est précisément à ce moment-là que l’orientation commence. Ainsi, à la fin de 3ème, une part importante des jeunes issus de milieux populaires se retrouvent orientés contre leur gré. De manière autoritaire et souvent informatisée, on les oriente par défaut vers les filières les moins demandées, là où il reste des places disponibles.

Un choix non maitrisé du fait du manque d’aide et d’information

Le second facteur, souvent le plus connu, est le manque d’aide et d’information des jeunes de milieux populaires pour bien s’orienter. En effet, si les jeunes de milieux plus aisés sont fortement accompagnés par leurs parents, qui connaissent bien les codes pour faire les bons choix, les familles de classes populaires ont moins les moyens d’aider leurs enfants à bien s’orienter.

Or, l’école ne compense pas cette inégalité. D’après le rapport du CNESCO de 2018, une jeune sur deux déclare ne pas avoir été bien accompagné par son établissement au sujet de l’orientation. Et tous les jeunes ne sont pas égaux face à ce manque d’accompagnement officiel. D’après le CNESCO :

« Les familles favorisées font plus appel à des coachs payants, les classes moyennes à des coachs gratuits et les familles défavorisées se passent plus souvent de coachs. ».

Plusieurs éléments contribuent à ce déficit d’aide et d’information des jeunes de classes populaires :

  • Le fait que leurs parents eux-mêmes n’ont pas fait d’étude et ne connaissent pas le système. Ainsi, ils n’ont pas les éléments pour aider leurs enfants à repérer les filières, les débouchés, les difficultés et faire les bons choix pour bien s’orienter. Ils peuvent même souvent véhiculer des fausses idées sur les métiers et filières auprès de leurs enfants. Or les parents sont le plus souvent le principal interlocuteur des jeunes dans les discussions et choix d’orientations, plus que l’école ;
  • Or, les familles populaires manquent aussi de ressources pour trouver de l’aide pour s’orienter, ou trouver et décoder toute l’information disponible. L’inégalité entre les familles pour bien utiliser Parcoursup en est un exemple criant. Ces dernières années, on observe un développement des aides payantes pour s’orienter. Or les moyens financiers des parents sont déterminants pour accéder à ces aides. De ce fait, et en l’absence de repères et de moyens, une partie des jeunes se base par défaut surtout sur le discours des proches et des médias, qui peut être très partiel ;
  • Autres personnes repères pour les enfants, les enseignants ne sont pas formés à l’orientation. Leur information ne tient souvent qu’à leur initiative ; et ils peuvent véhiculer des stéréotypes ;
  • Enfin, les établissements scolaires eux-mêmes sont inégalement dotés et impliqués sur l’orientation. Le déploiement des dispositifs nationaux et les moyens humains pour organiser l’accès à l’information et l’orientation sont très inégaux. Par ailleurs, les établissements avec le plus de jeunes en difficultés sont souvent plus concentrés sur l’aide scolaire que l’orientation.

Au final, cela peut conduire de nombreux jeunes des classes populaires à faire des mauvais choix par manque d’information et de bons conseils pour bien s’orienter.

L’auto-censure des jeunes et des familles et l’absence de correction par le système scolaire

Le troisième facteur à la source de l’orientation subie est l’auto-censure des jeunes et des familles dans les choix d’orientation. Le CNESCO montre que plusieurs mécanismes produisent cela :

  • Par similarité avec leur entourage, une partie des élèves et des familles ne s’imagine pas faire des études et des métiers plus élevés que ceux de l’entourage ou aspire au même type de métiers ;
  • Les familles ont aussi de nombreux stéréotypes sur les filières et les métiers. Parmi ces stéréotypes, les familles populaires pensent souvent – à raison- que l’origine sociale de leurs enfants aura un impact sur la réussite scolaire, mais elles ont tendance à surestimer cet effet. Par contre coup, elles ont tendance à sous-estimer leur capacité à réussir dans les études;
  • Enfin, les enfants d’ouvrier.es et d’employé.es anticipent et intègrent plus que les autres les difficultés financières à venir. Cela les amène à se restreindre dans les choix et à privilégier les filières proches et courtes pour réduire les frais d’études. Ainsi, 24 % des enfants d’employés ont renoncé à cause de la durée des études, contre 15 % des enfants de cadres (source : CNESCO).

Or, cette auto-censure n’est pas corrigée par le système scolaire. A résultats scolaires égaux, les enfants de classes populaires et leurs familles se censurent plus dans ce qu’ils demandent comme orientation… Et les conseils de classe ne corrigent généralement pas cette auto-censure. Même si certains profs peuvent parfois au contraire pousser des élèves, des recherches montrent que les stéréotypes sont également présents chez les professionnels de l’orientation et peuvent aussi renforcer l’autocensure des élèves.

De ce fait, comme le montre l’Observatoire des inégalités, l’orientation est très inégalitaire dès la fin de la 3e, même à résultats scolaires comparables : « Avec une note comprise entre 10 et 12 au contrôle continu du brevet, 91 % des enfants de cadres demandent la voie générale ou technologique, contre 59 % des enfants d’ouvriers non-qualifiés et 64 % des enfants d’ouvriers. Avec une note entre 8 et 10, les deux tiers des enfants de cadres supérieurs sont dans ce cas, contre 30 % des enfants d’ouvriers non-qualifiés. ».

 

source : Observatoire des inégalités, L’orientation à la fin du collège accentue les inégalités sociales

Ainsi, comme le dit l’Observatoire des inégalités :

«L’orientation est en partie choisie et en partie subie, mais en tous les cas, elle n’est pas « juste ».

Au final, c’est bien la possibilité de choisir sa vie selon ses aspirations qui est réduite pour les enfants de classes populaires. Même s’ils ont parfois plus de pression sociale sur leurs choix, les enfants de cadres sont plus nombreux à suivre leur goût pour un métier (48 % contre 38 % des enfants d’ouvriers et d’employés) ou pour une filière (40 % contre 35 % des enfants d’ouvriers et d’employés) :  

Les solutions qui existent déjà pour éviter l’orientation subie

Dépasser les freins liés au niveau scolaire

Etant donné que les résultats scolaires sont déterminants pour pouvoir choisir son orientation, le 1er levier à activer est d’aider les enfants de milieux populaires à avoir de meilleurs résultats à l’école. De nombreuses associations, communes et établissements scolaires proposent des aides aux devoirs ou un accompagnement scolaire pour les jeunes de familles modestes, dès la primaire. L’effet sur les résultats scolaires est en général positif et permet de limiter les risques d’accumuler du retard scolaire, de décrocher et au final, de se voir imposer une orientation subie pour mauvaises notes en 3e.

  • Renseignez-vous autour de vous, il y a très probablement une aide près de chez vous

Pour faciliter l’accès des jeunes de classes populaires aux études longues et aux grandes écoles, de plus en plus de grandes écoles proposent aussi des accompagnements renforcés à la préparation aux concours dès la seconde. C’est le cas par exemple de Sciences Po, grande école pionnière de ce dispositif, qui a mis en place dès 2001 les « conventions ZEP », des préparations renforcées dans les établissements ZEP et un concours réservé. Les résultats sont bons car malgré le retard scolaire accumulé, les jeunes issus de ce concours ont tous réussi à récupérer le niveau général et se sont bien intégrés dans l’école. Depuis, d’autres grandes écoles ont ensuite reproduit ce dispositif.

Par ailleurs, la réussite scolaire n’est pas qu’une affaire de travail scolaire. De nombreux exemples montrent que pouvoir pratiquer une activité non scolaire aide à se sentir mieux, à retrouver confiance en soi et assurance, avec des effets bénéfiques sur les résultats scolaires. C’est pourquoi de nombreuses associations, communes et établissements scolaires proposent aussi d’autres activités, gratuites ou à des tarifs très accessibles.

  • SI vous ou votre enfant rencontre des difficultés scolaires, pourquoi ne pas lui proposer une autre activité dans laquelle il pourra s’épanouir, faire baisser son stress et retrouver confiance?

Dépasser l’auto-censure et le manque d’information

Pour lutter contre l’auto-censure et le manque d’information des jeunes et de leurs parents, il existe également de nombreux dispositifs d’information et d’aide à l’orientation. Bien sûr, il existe de nombreux sites d’information en ligne. Mais si certains sont publics et gratuits comme le site Orientation pour tous ou le site de l’ONISEP, d’autres comme celui du CIDJ ou de l’Etudiant rendent souvent payants l’accès aux informations clés. Et il n’est pas toujours facile de se repérer et de savoir où chercher parmi l’océan d’information proposé. C’est pourquoi une aide peut être utile :

  • Les dispositifs d’orientation peuvent exister en collège et lycée, tels que la possibilité d’un rdv avec un.e conseillèr.e d’orientation psychologue, ou des évènements sur l’orientation ;
  • De nombreuses communes ont par exemple des points info jeunesse, des rayons orientation dans les bibliothèques ou des espaces orientations dans les espaces jeunes ;
  • Certaines associations proposent également des aides à l’orientation pour aider les familles à s’y repérer. C’est le cas par exemple de l’association 4chem1 évolution, à Pantin (93) avec qui nous avons réalisé un atelier contre l’orientation subie dans le cadre de son projet Horizon.

Obtenir des informations globales sur les filières, les débouchés et les métiers ainsi que les aides possibles pour réussir ces études, peut permettre de diminuer l’auto-censure et d’ouvrir les horizons.

  • SI vous voulez aider votre enfant à bien s’orienter, n’hésitez pas à chercher une aide qualifiée !

C’est aussi en soutenant nos jeunes dans leurs projets et en les poussant à viser plus haut, à ne pas avoir peur d’essayer, que nous pouvons dépasser l’auto-censure. Parfois, il vaut mieux laisser son ado essayer une filière qui le/la motive, plutôt que croire qu’il.elle n’y arrivera pas et l’enfermer dans une filière non choisie. Souvent, lorsque les parents insistent, en fin de 3e, les établissements suivent le vœu des parents. Et si votre enfant ne sait pas quelle voie prendre, mieux vaut le pousser à poursuivre en filière générale, ce qui lui laissera plus de choix pour la suite qu’une filière pro.

Enfin, pour les jeunes qui ont des projets d’études longues, un appui avec du parrainage ou du tutorat peut s’avérer très utile pour dépasser l’auto-censure, le manque de confiance en soi et avoir les bons codes. Des associations comme Article 1 ou La Cordée proposent des accompagnements très utiles.

  • Voilà tout ce que vous pouvez faire, en tant que parent ou élève enfant d’ouvrier.e ou d’employé.e, pour éviter l’orientation subie, et cela passe aussi par encourager votre enfant à oser aller plus loin.

Mais plus largement, mettre fin à l’orientation subie nécessite a minima des changements significatifs, voire une réforme profonde du système scolaire et même du système social. C’est pourquoi il nous parait essentiel, à Collectif POP, de relayer des revendications plus structurelles à ce sujet.

Les revendications structurelles qu’on pourrait porter pour une école de l’égalité

Un vrai dispositif d’orientation nationale plus précoce, généralisé, avec des moyens

La première revendication qui ressort en général des grands rapports officiels ou des travaux des chercheurs est de demander la mise en place d’un dispositif d’orientation national dès la primaire.

Ainsi, le CNESCO plaide plus largement pour la généralisation de dispositifs d’orientation, également répartis dans tous les établissements et qui commencent dès la primaire. En effet, si l’orientation intervient en fin de 3e, elle se prépare bien avant. Le CNESCO rapporte ainsi que « pour contrer cette autocensure, Les recherches montrent que travailler sur ces représentations (de soi, des études, du travail) est plus efficace lorsque ces actions sont débutées au primaire, avant l’installation des représentations, et poursuivies jusqu’à l’âge adulte. ». Le CNESCO préconise aussi de « mettre en œuvre certaines actions liées à l’orientation dans le cadre de classes entières ».

Pour le faire, la chercheuse Agnès Van Zanten par exemple estime qu’il faudrait notamment augmenter le nombre de conseillers d’orientation psychologues, dont les effectifs sont insuffisants aujourd’hui depuis les années 90. En effet, l’orientation ne peut pas reposer sur les seuls profs, qui ne sont pas formés pour et ne s’estiment pas en capacité de le faire. Le CNESCO préconise aussi de favoriser l’interaction avec d’autres parties prenantes notamment les acteurs locaux (associations, communes, filières pro etc). Assurer un minimum de formation des profs sur l’orientation est aussi un besoin connexe pour leur permettre de répondre aux questions des élèves et réduire les effets des stéréotypes sociaux dans les décisions des conseils d’orientation.

Enfin, c’est aussi dans la façon d’aider à l’orientation que cela se joue. Ainsi, le CNESCO préconise de proposer des dispositifs pour « apprendre à s’orienter plutôt qu’être orienté ». Apprendre à s’orienter passe notamment par le fait de « développer la connaissance de soi » pour apprendre à faire des choix pour soi dès la primaire. Il s’agit aussi de former les familles, et pas seulement les élèves, car ce sont les parents qui influencent le plus les choix des enfants, avant l’école. Enfin, c’est aussi en multipliant la possibilité de rencontrer des personnes qui ont fait des études, et en accordant du temps à la découverte de métiers et des filières que les horizons des enfants de classes populaires peuvent être élargis (enquêtes, immersions…, simulation, rencontres d’étudiants et de professionnels).

Sélectionner et orienter moins tôt

Au-delà de ces efforts sur l’orientation, de nombreux spécialistes de l’éducation insistent sur l’importance de sélectionner moins tôt pour éviter des orientations définitives trop précoces.

Dans l’ouvrage La Machine à trier, les auteurs-chercheurs affirment que « Les enquêtes PISA montrent que les pays qui atteignent les plus grandes performances dans les comparaisons internationales sont ceux qui différencient le plus tardivement les parcours scolaires (Finlande, Japon, …), alors que ceux qui pratiquent une différenciation précoce des parcours obtiennent les plus mauvais résultats. Or, la France se caractérise dès la 3ème par une diversification poussée des parcours, qui est présentée par le système éducatif comme un outil de lutte contre l’échec scolaire : tout se passe en définitive comme s’il existait, d’une part, un parcours privilégié pour une moitié des élèves, permettant d’accéder aux études supérieures, et d’autre part, de multiples parcours empruntés par l’autre moitié des élèves à partir de critères relevant généralement d’une sanction de la difficulté scolaire.»

Cela plaiderait donc, de façon beaucoup plus forte, par la fin de l’orientation en fin de 3e et de la distinction entre lycées généraux et lycées pro, le report de l’orientation professionnelle à après le bac, et probablement, pour aller avec, le recul de l’âge de la scolarité obligatoire à 18 ans.  

Réduire la pression sur l’école

Enfin, plus globalement, c’est aussi tout le système de sélection sociale par l’école et d’inégalité des places dans la société qui peut être requestionné. En effet, deux raisons profondes génèrent cette forte sélection sociale et précoce à l’école, comme le démontre le sociologue François Dubet dans son livre Les places et les chances .

Les résultats scolaires déterminent fortement la carrière professionnelle, pour deux raisons. Les français.es surestiment la capacité scolaire dans le critère de recrutement ; et le manque de moyens pour la formation tout au long de la vie ne permet pas assez de pouvoir augmenter son niveau de qualification et de diplôme une fois sorti.e de l’école. Ainsi, la place qu’on obtient dans la société dépend beaucoup de ses résultats scolaires ; et il y a peu de chances d’en changer ensuite.

Or, les inégalités de conditions de vie sont fortes selon les situations professionnelles. Si les emplois de cadres ou certaines professions intermédiaires permettent d’accéder à une bonne rémunération, de la stabilité, des horaires classiques et peu de pénibilité par exemple, les emplois d’ouvrier.es et d’employé.es sont marqués par les bas salaires, la pénibilité, les horaires décalés et la précarité.

C’est ce qui fait dire à des sociologues comme François Dubet, qu’en fait le plus important n’est pas tant de favoriser l’égalité des chances par une meilleure orientation, que l’égalité des places, via :

  • Une vraie possibilité de se former tout au long de la vie pour les classes populaires
  • Une meilleure répartition des salaires entre les métiers, et des services publics partout en France

On pourrait même aller encore plus loin que ces deux revendications, et requestionner la répartition du travail au sein de la société. Tant qu’il y aura des métiers pénibles, peu intéressants pour les uns, et des métiers plus qualifiés pour les autres, pourra-t-on vraiment en finir avec l’orientation subie ?  

Pour aller plus loin : nos sources

militant-pop